Communiqué de David Lamiray, maire de Maromme
Pas de porte-drapeaux ni d’anciens combattants. Pas d’élu.e.s, ni d’habitant.e.s. La commémoration du 102ème anniversaire de l’armistice de la Première Guerre mondiale est, comme le fut celle du 8 mai dernier, placée sous mesures de confinement. Un moment de recueillement presque solitaire pour un devoir de mémoire collectif. Elle n’en demeure pas moins essentielle, comme chaque année. C’est la raison pour laquelle je suis venu, au nom de tous, déposer ce matin une gerbe au pied du monument. Il est important à mes yeux de marquer du sceau du souvenir la fin de cette terrible guerre qui fit, dans son ensemble, dix millions de morts et environ huit millions d’invalides. Face à la stèle derrière laquelle sont gravés les noms des Marommais Morts pour la France, je pense à chacun d’entre eux, à leur histoire et à l’héritage qu’ils nous ont laissé à leur dépens parce que de cette guerre ils n’en voulaient pas.
C’est pour cette raison aussi que je voudrais en ce jour anniversaire revenir à l’origine, ou tout le moins, sur l’une des victimes liminaires de ce conflit mondial. Bien entendu, le prince Louis-Ferdinand d’Autriche, assassiné à Sarajevo par un jeune nationaliste serbe, reste aux yeux de l’histoire le personnage central du déclenchement de cette guerre atroce. Mais c’est à une tout autre figure que je pense aujourd’hui et à laquelle je voudrais rendre hommage ici, celle de Jean Jaurès. Il fut assassiné le 31 juillet 1914, à l’aube de cet embrasement mondial. Quelques jours auparavant, le 28 juillet, l’Autriche-Hongrie déclarait en effet la guerre à la Serbie. 4 jours plus tard, l’Allemagne à son tour proclamait les hostilités envers la Russie, puis le lendemain envers la France. Le 4 août, le Royaume-Uni entrait en guerre contre l’Allemagne. D’autres pays s’emparaient, les semaines suivantes, de ce sinistre dessein comme une traînée de poudre. L’escalade de la violence était lancée. Nous connaissons la suite. Des hommes, parmi eux des Marommais, mobilisés et réquisitionnés, livrés aux champs de batailles où beaucoup y perdront la vie et d’autres en reviendront mutilés ou traumatisés. Des femmes et leurs enfants démunis et terrifiés, contraints à survivre dans le désarroi.
Je veux aujourd’hui revenir sur cet homme parce qu’il fût assassiné pour s’être farouchement opposé à la guerre qui s’annonçait. Il nous faut savoir rendre hommage à tous ceux qui se sont battus au nom de cette liberté dont quelques-uns voulaient nous déposséder. Il nous faut aussi honorer ceux qui ont fermement combattu avec l’espoir que nous n’ayons pas à nous défendre et battre, pour que cela n’arrive jamais. Jean Jaurès était de ceux-là. Il était cette voix claire et engagée pour la paix et la fraternité, appelant à une grève générale en Europe pour empêcher la guerre. Il a été tué pour ses prises de position pacifiques, son internationalisme et pour sa vision d’humaniste universaliste. Jean Jaurès est mort parce qu’il avait fait de la « paix véritable » un combat impérieux, un enjeu de civilisation à l’échelle de l’humanité. Tribun hors pair – exception faite de Victor Hugo dont le lyrisme incandescent a de nombreuses fois embrasé la Chambre des députés – les joutes verbales de Jaurès contre ses homologues parlementaires étaient si fortement gorgées de sens et immaculées de raison qu’elles en ont à jamais marqué l’histoire de cette institution et fait la grandeur du socialisme. Elles devraient inspirer bien de nos contemporains.
Je voudrais aussi revenir sur l’assassinat même de Jean Jaurès. Pour commettre son crime, l’assassin Raoul Villain s’est avant tout abreuvé de la haine que n’ont eu de cesse de diffuser les figures patentées de l’action française, ce mouvement d’extrémistes nationalistes et antisémites. Parmi les plus virulents, Léon Daudet et Charles Maurras, tous deux journalistes et hommes politiques, ont été les artisans de cette campagne acharnée qui avait pour seul objectif d’attiser tous les fanatismes les plus vils. Ils ont ouvertement désigné, dans les colonnes de leur quotidien, Jean Jaurès comme l’homme à abattre. Cet appel au crime, à peine déguisé, aura suffi pour qu’un jeune nationaliste passe à l’acte. Les circonstances de cet assassinat ont une saisissante résonance dans notre actualité.
Plus d’un siècle après son assassinat, son esprit, son charisme et son engagement ont gardé une force de conviction et d’évidence sans pareille. J’ai le sentiment que l’idéal qu’il a défendu jusqu’à son dernier souffle est en mesure de nous éclairer aujourd’hui. Il fait écho tout autant à notre présent et notre avenir qu’au passé envers lequel il nous faut encore, et plus que jamais, tirer les leçons. La figure de Jean Jaurès nous invite à ouvrir nos esprits à la Paix, à les imprégner si fort de cette idée que la guerre devienne le seul sujet de détestation que nous puissions honorer. Celui qui fut assassiné au seuil de la Première Guerre mondiale pour en avoir été un des plus fervents opposants, celui qui voulait « rallumer tous les soleils » nous tend sa flamme. Elle doit nous éclairer et brûler en nous tout ce qu’il y a d’animosité et de haine. Il suffit de l’écouter nous réclamer « de demander à ces milliers d’hommes (de tous les pays) de s’unir pour que le battement unanime de leurs coeurs écarte l’horrible cauchemar ».