[PORTRAIT] Angélique Cauchy

Dans le cadre de la journée des droits des femmes du 8 mars, nous avons rencontré Angélique Cauchy, marraine de l’édition 2024 de l’Open de Tennis féminin de Maromme. Cet ancien espoir du tennis français victime d’agressions sexuelles par son entraineur est aujourd’hui enseignante d’éducation physique et sportive et se bat pour faire cesser les violences dans le milieu sportif. 

Angélique Cauchy
Angélique Cauchy
Crédit photo : Catherine Cabrol – Carton Rouge

 

• Pouvez-vous vous présenter, raconter succinctement votre parcours : vos premiers pas dans le monde du tennis, la place qu’a pris le sport dans votre vie, jusqu’à la rencontre avec cet entraineur…
Je suis Angélique Cauchy, j’ai 36 ans, je suis professeur d’EPS, j’ai toujours fait du sport, j’ai joué au tennis pendant très longtemps et j’ai créé une association en 2017 avec mes co-victimes au cours de notre procédure. On a déposé plainte en 2014 contre notre entraineur pour viols et agressions sexuelles. Depuis, on essaye d’améliorer le sport et la société en faisant de la prévention et de l’aide aux victimes.

• Ces violences de votre entraineur ont changé la trajectoire de votre vie et ont laissé des séquelles. Malgré cela vous avez trouvé la force d’en parler. Quels conseils donneriez-vous aux victimes qui gardent le silence ?
J’en ai parlé bien trop tard à mon sens, même s’il n’est jamais trop tard. C’était un choix terrible à faire à 12 ans et aucun enfant ne devrait avoir à le faire. J’ai pris la décision de me taire plus jeune, de peur de faire éclater ma famille, mais évidemment c’était un mauvais choix, parce que ça veut dire que j’ai laissé les choses se faire après moi et aujourd’hui ça reste ce qu’il y a de plus difficile à vivre, cette culpabilité que portent la plupart des victimes. J’ai pris la décision de porter plainte à 27 ans, aussi parce que je n’étais pas seule. Peut-être que sans l’appel des autres victimes de mon agresseur, j’aurais parlé plus tard, peut-être que je n’aurais jamais parlé. Mais évidemment le conseil c’est de parler, de parler le plus tôt possible.
On sait bien que quand on est sous emprise ce n’est pas facile, d’où l’importance à la fois de faire de la prévention, pour que les enfants sachent repérer les signes qu’une personne est malveillante, mais aussi pour que les adultes passifs qui sont autour soient en mesure de se rendre compte de ce qu’il est en train de se passer. Les gens voient des choses, perçoivent, ont des doutes, mais ne disent rien ou considèrent que ce n’est pas leur rôle d’agir. Avant la peur de mettre un innocent en prison, avant la présomption d’innocence, qui bien sûr doit exister, il y doit y avoir le principe de protection des victimes, et ce principe de précaution doit passer largement au-dessus.

• Connaissez-vous des canaux que ces victimes peuvent utiliser pour réussir à entamer le processus de parole ?
Dans le milieu du sport, il y a une plate-forme qui a été créée par le Ministère en 2020, « Signal-Sports » qui recense des signalements qui peuvent être faits par des témoins ou par les victimes elles-mêmes. Il y a le 119 (Allô Enfance en Danger) et ensuite il y a toutes les associations. Évidemment la nôtre, « Rebond », mais aussi « Colosse aux pieds d’argile », « L’enfant bleu » … qui viennent en aide aux victimes pour essayer à la fois de libérer la parole pour qu’elles se sentent entendues et crues, mais aussi et surtout pour  les soutenir pendant ce long parcours qui peut être le leur, si elles décident de déposer plainte. Dans le cas de mineurs, par contre, le procureur sera saisi de façon automatique.

• Vous vous êtes investie dans les clubs et les fédérations sportives via votre association « Rebond ». Pouvez-vous nous présenter les actions menées ?
Nous avons deux parties dans l’association, la sensibilisation et la prévention : des sensibilisations pour tout type de public, les jeunes, les parents, les entraineurs et les bénévoles, mais aussi des formations aux bénévoles, dirigeants et entraineurs pour qu’ils deviennent eux-mêmes référents. J’aimerais qu’il y ait un référent intégrité dans chaque club, vers qui l’on peut se tourner lorsque l’on subit des violences, pas seulement sexuelles, mais également sexistes, racistes, homophobes, verbales, ou du harcèlement… Nous faisons de la sensibilisation dans les clubs, comités et ligues, au niveau local comme national. On travaille également avec les mairies, qui nous sollicitent de plus en plus pour aller dans les écoles, former les agents qui sont en contact avec les mineurs ou proposer des événements ponctuels.
Après, il y cet autre volet qui est l’aide et le soutien aux victimes. Du moment où elles nous contactent, ou un de leur proches nous contacte, on propose une aide juridique et une aide psychologique. On organise également des week-ends de reconstruction, où l’on réunit les victimes par groupe. On se rend compte que ça aide tout le monde, parce qu’elles n’ont pas tout à fait le même parcours, âge, ou vécu. Certaines ont déjà déposé plainte, vécu des procès, d’autres viennent juste d’en parler…
Ça aide tout le monde, à la fois celui qui est perdu au début, mais aussi celui qui s’en est sorti, qui se reconstruit, et à qui ça fait du bien d’aider les autres, parce qu’il y a toujours cette culpabilité de ne pas avoir parlé plus tôt.
Clairement, moi je me situe là-dedans, parce que toutes les victimes qui libèrent la parole aujourd’hui, à la suite de mes interventions, elles me permettent de me racheter un petit peu vis-à-vis de mes co-victimes que je n’ai pas pu sauver.

• On découvre tout de même une récurrence des agressions sexuelles dans le milieu du sport, alors que ce milieu véhicule pourtant des valeurs telles que le partage, la cohésion, la bienveillance… Pourquoi le sport semble si touché selon vous ?
Tous les milieux sont touchés, la musique, le cinéma… Mais c’est vrai que c’est très présent dans le milieu du sport, parce qu’il y a cette notion de performance. L’emprise est finalement assez facile car on vient sur la base du volontariat. C’est plus difficile de se dire que l’on n’était pas consentant pour ça parce qu’on l’est pour venir, pour courir, pour peut-être même « souffrir » psychologiquement et physiquement afin de se dépasser. C’est cette notion du consentement qui doit sans arrêt être questionnée. C’est le jeune qui doit dire s’il veut continuer ou pas et non l’entraineur. Il y a aussi cette promiscuité qui existe dans le sport. À une époque, ça allait jusqu’à ce que les adultes puissent rentrer dans les vestiaires ou dorment dans les mêmes chambres que les jeunes sur des tournois pour des raisons pratiques ou financières. Ce sont des choses que l’on n’imagine pas transposées dans un autre milieu. Cette notion tactile, qui voit le corps comme un outil, amène souvent à toucher les élèves, les enfants et ce sont des facteurs favorisant. Après il faut tout de même rappeler que ce n’est pas la majorité des cas et que de nombreux éducateurs sont bienveillants. Finalement moi, j’ai trouvé ça déplacé assez vite, mais comme je ne remettais jamais en cause l’autorité et que mon entraineur avait déjà une emprise terrible à dire que tout était normal, à se rendre indispensable tant à mes yeux qu’à ceux de ma famille, les lignes étaient troubles bien avant qu’il ne se passe quelque chose.

• Vous avez déclaré avoir encore du mal à revenir sur les cours de tennis, pourtant, vous avez accepté d’être la marraine de l’édition 2024 du tournoi de Maromme. Racontez-nous comment s’est effectué cette rencontre et quel sera votre rôle durant cette compétition ?
J’ai rencontré Frédéric [Bagot, NDLR] le Directeur du tournoi de Maromme, à la remise des trophées Pro Elle à Roland Garros après un moment de sensibilisation. Il a été touché par mon histoire et m’a proposé de devenir marraine. Il y a eu Pauline Parmentier, Emilie Loit, qui sont d’anciennes excellentes joueuses, et cette année il souhaitait que ce soit moi pour les valeurs que je véhiculais.
J’ai trouvé ça très courageux de sa part. Tout le monde n’est pas en capacité de se dire que ce n’est pas parce que l’on en parle que c’est une réalité dans le club, bien qu’il y ait forcément des adhérentes qui ont déjà pu connaître des situations difficiles. J’ai dit oui pour cette raison, mais aussi parce que personnellement, j’ai avancé depuis toutes ces années, même si ça fera toujours partie de moi.
Effectivement, j’ai arrêté de jouer au tennis en 2014 au moment du dépôt de plainte, mais j’ai continué à entrainer, parce que parallèlement à mon métier de professeur d’Éducation Physique et Sportive j’étais aussi professeur de tennis et préparateur physique de joueurs, dont Lucas Van Assche. Aujourd’hui, ça va mieux et c’est avec grand plaisir que je retrouve ce milieu. Le fait que l’événement soit doublé d’une sensibilisation fait aussi sens pour moi et l’association. Ce sont toutes ces raisons qui font que j’ai accepté. Je ne viens pas qu’en tant que personnalité, mais pour délivrer un message et pour faire avancer les choses : c’est ça qui est important. Ce sera la première fois que je suis marraine d’un tournoi. J’espère que tout le monde en gardera un super souvenir et que les gens y verront de l’espoir.

• On pourrait craindre, à l’écoute de votre témoignage, de s’inscrire en club et de vivre des situations similaires. Comment faire des clubs un endroit sécurisant pour les jeunes et rassurer les parents ?
Ces situations peuvent arriver n’importe où, au centre de loisirs, en allant chez les voisins, ou même en famille. Je pense que c’est aux adultes d’apprendre à repérer les signes, à repérer les changements de comportement et en même temps d’améliorer la société en mettant des garde-fous. Dans les clubs de tennis, il y a maintenant un contrôle d’honorabilité grâce auquel on croise les fichiers de la justice avec les licences de tennis. C’est quelque chose qui n’existait pas avant 2020. Il y a plein de garde-fous, comme la formation des entraineurs sur l’intégrité morale et physique des enfants et sur la psychologie. On veut aussi essayer un double contrôle d’adultes. Je considère qu’un adulte, même le plus bienveillant, ne peut pas tout apporter à un enfant. J’ai sollicité la Fédération française de tennis pour qu’il y ait plutôt deux entraineurs pour un groupe plus important d’enfants plutôt qu’un seul référent adulte. Il ne faut pas non plus oublier que c’est tout de même une super expérience de faire du sport. On apprend beaucoup, des valeurs comme le partage, la motivation, la persévérance… Pour travailler l’estime de soi et s’élever, je trouve que c’est une superbe école. Il y a toujours des risques, mais l’objectif de l’association et du Ministère, c’est de les minimiser.

• Ces dernières années, Maromme met en place divers dispositifs pour lutter contre la violence, notamment dans le sport. Vous-même avez pris la parole à l’Assemblée Nationale pour évoquer les défaillances dans les structures sportives. Quelles seraient selon vous, les pistes à explorer pour éviter que des agressions ne s’y produisent ?
Il y a plein de choses à faire. Je trouve que c’est très important que les agents de la Ville, mais aussi les gardiens de gymnases ou de stade soient sensibilisés. Les agents d’entretien sont ceux qui voient le plus de choses, et c’est important qu’ils soient impliqués. On peut aussi proposer des affiches d’associations ou des services de l’État avec les numéros d’appels d’urgence. Il y a évidemment tout ce qui est culturel avec, par exemple, des expositions dans les rues d’une ville, que tout le monde peut voir. Ensuite, il y a les évènements ponctuels, comme les conférences… Je pense que chaque mairie doit s’emparer de ce sujet-là à son niveau. Il y a plein de choses à imaginer… J’ai tout de même l’impression que la ville de Maromme est déjà très dynamique sur ces questions. Si toutes les villes de 11 000 habitants faisaient ça en France, on irait beaucoup plus vite !

• En parallèle, la Municipalité fait en sorte de développer le sport féminin et aujourd’hui, près de la moitié des membres de nos clubs sont des femmes. Comment, selon-vous, pourrions-nous faire pour aller encore plus loin ?
C’est déjà super ! Mais ce n’est pas le reflet de la situation nationale… On voit aussi que les femmes s’inscrivent davantage en loisirs qu’en compétition. Comment faire pour leur en donner envie ? J’aimerais que ce soit plus mixte, qu’il soit parfois possible pour une femme de rencontrer un homme dont le niveau est équivalent. On est là aussi pour un moment convivial, je ne vois donc pas pourquoi on sépare les catégories selon le genre. On apprend techniquement et tactiquement des caractéristiques de l’autre, mais en parallèle on partage aussi des valeurs communes. La société, selon moi, n’est pas genrée…
Il faudrait également donner plus de responsabilités aux femmes : il y a très peu de femmes élues, très peu d’enseignantes en sport. Il faut rendre possible l’accession à ces postes pour les femmes… À certains endroits, on part de loin, donc je trouve que Maromme est en avance et précurseur, mais il ne faut jamais s’arrêter !

Retrouvez les actions menées par l’association Rebond sur leur site internet :
www.rebond-france.com