Disparition de Colette Privat

Communiqué de David Lamiray, Maire de Maromme

 

Une grande dame s’en est allée. 

À 95 ans, Colette Privat a tiré sa révérence et c’est toute une ville qui est aujourd’hui en peine. Maromme vient en effet de perdre l’une des grandes figures de son histoire contemporaine, celle qui avait su à la fin des années 70 redresser une ville financièrement exsangue, engager son renouveau, et surtout oeuvrer au bien-être de tous ses habitants. Maire de Maromme de 1977 à 1998, mais aussi conseillère générale de 1967 à 2004 et députée de 1967 à 1968 puis de 1978 à 1981, son influence et son rayonnement auront embrassé tout à la fois la scène locale et nationale.

Colette Privat était une femme de savoirs et d’idées, une intelligence brillante, engagée au service d’un idéal de fraternité et de justice. Agrégée de lettres classiques, sa culture et son érudition lui voudront le respect de tous et la reconnaissance immédiate de ses pairs. Après khâgne et Hypokhâgne, elle poursuit ses études à l’université populaire de Paris au cours desquelles elle découvre le marxisme et l’histoire. Ce sera pour elle une révélation. Ces amis du Parti communiste français et notamment Roland Leroy, secrétaire de la fédération communiste de Seine-Maritime, perçoivent rapidement en elle cet esprit éclairé et avisé, cette militante réfléchie. Trois ans après les avoir rejoints, Colette Privat est tout naturellement élue au bureau national. Elle est sur tous les fronts, de toutes luttes syndicales et politiques. En 1945, elle rejoint l’Union de la jeunesse républicaine de France. Militante de l’organisation laïque « des Vaillants et des Vaillantes » dès sa création en 1946, elle en devient membre du bureau national. Elle contribua activement à la mise en place de ce mouvement, notamment dans les municipalités communistes (Petit-Quevilly, Sotteville, Saint-Etienne-du-Rouvray) et sur le port de Rouen, où le syndicat CGT des dockers lui fit un accueil chaleureux. Aux côtés de Germaine Pican, autre figure Marommaise, elle rejoindra aussi le directoire de l’Union des Femmes Françaises à travers lequel elle dénoncera notamment l’exploitation des jeunes ouvrières. Car ne l’oublions pas, Colette Privat fut une féministe de la première heure dans une France qui venait tout juste d’accorder le droit de vote aux femmes et dans un monde politique alors exclusivement tenu par des hommes.

En 1967, son engagement s’amplifie avec son élection à l’assemblée nationale, et son accession au rang de conseillère générale du canton de Maromme. Elle sera la première femme siégeant dans l’hémicycle de la Seine-Maritime. Respectée et écoutée, elle défend avec pugnacité la cause ouvrière et se bat pour sauver la filière textile ou encore les chantiers navals. Ce n’est bien sûr pas son seul cheval de bataille, loin de là. La professeure de lettres du lycée Jeanne d’Arc plaide depuis le début pour un accès à l’enseignement pour tous. Contre le cynisme de Jean Lecanuet, qui jugeait que les enfants de la vallée du Cailly n’avaient pas d’appétence pour l’enseignement long, Colette Privat fera valoir une détermination que le Président du Département avait sans doute sous-estimée. Indéniablement sa ténacité aura eu raison du mépris de l’édile rouennais. Il faut dire que Colette Privat connaissait bien son sujet pour avoir été de 1981 à 1983, membre du cabinet de Marcel Rigout, ministre de la Formation professionnelle, où elle fut chargée de mission pour la formation professionnelle des femmes. Ce poste n’est bien entendu pas le fruit du hasard. 

Il me revient en mémoire ma première rencontre avec cette femme d’exception en 1990, le 12 novembre précisément. Je n’étais alors qu’un jeune délégué des élèves et, à ce titre, j’eus le privilège d’inaugurer le lycée de la vallée du Cailly aux côtés de Pierre Beregovoy et de Colette Privat. Comme bon nombre de personnes, je fus saisi par son éloquence et sa réflexion pour instaurer la priorité à l’éducation et garantir l’égalité des chances pour tous. 

En 1977, Colette Privat est élue maire de Maromme. Avec son équipe de l’Union de la gauche, et alors que la ville est au bord de la faillite, elle entreprend la reconstruction du centre-ville détruit, selon elle, « à la suite d’une opération désastreuse des banques » mais aussi par la conduite de projets disproportionnés de la précédente municipalité. Ainsi, durant deux décennies, elle va s’efforcer de créer les conditions d’une vie agréable pour tous les Marommais en dotant la commune d’équipements culturels, sportifs, sociaux, scolaires ainsi que de deux zones industrielles. Son ambition était clairement affichée, il s’agissait de faire de Maromme « une petite ville et non une banlieue sans âme ». 

Une grande dame s’en est allée. Colette Privat était une femme assurément de convictions, nullement de certitudes. Elle était une femme de gauche – pour l’Union de la gauche – mais sa voix était entendue bien au-delà des clivages et des familles politiques. Elle était inspirée et inspirait par son opiniâtreté naturelle et sa bienveillance de tous les instants. Elle fut une égérie pour toute une génération dont je fais partie. Colette Privat incarnait la probité et la sincérité de l’engagement en politique. Elle était un exemple. Républicaine patentée, elle avait pour boussole l’intérêt général et le bien public. Je dirais, plus précisément, qu’elle avait pour horizon le bien-être collectif. Elle a toujours gardé ce cap sans jamais s’en écarter. Elle n’aura eu de cesse de combattre les inégalités. Tout au long de sa vie, elle aura défendu ses valeurs avec une ferveur insatiable et une humilité qui force le respect. 

La ville lui doit beaucoup. Nous lui devons beaucoup. Je sais qu’elle n’aurait pas aimé que nous lui rendions hommage. Colette Privat n’était pas du genre à se laisser attendrir par les compliments, encore moins par les éloges ou les décorations. Elle avait fait de sa quête d’un monde meilleur, d’un monde plus juste, une cause qui dépassait largement les individualités. Ce principe ô combien respectable, elle se l’appliquait avant tout à elle-même par souci de cohérence. Nommée chevalière de la Légion d’honneur, elle refusa cette distinction. Ce geste symbolique résume, à mes yeux, la grandeur de son humanisme. Pas d’hommage donc, mais les remerciements appuyés de toute une ville, reconnaissante, unie et solidaire.